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Congrès et symposiums

Publié le 31 mai 2014Lecture 9 min

La cigarette électronique : gadget ou outil de sevrage ?

Daniel THOMAS, Institut de Cardiologie, Groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière, Paris

TUC

Le tabagisme reste un fléau majeur avec 73 000 décès par an en France dont 18 000 décès cardiovasculaires. L’accompagnement du sevrage tabagique par les méthodes validées (thérapies comportementales et cognitives, entretien motivationnel, substituts nicotiniques et médicaments de prescription), constitue en 2014 la prise en charge de première intention des fumeurs. Y a-t-il une place dans cette démarche pour ce produit en pleine expansion qu’est la cigarette électronique ? Constitue-t-elle un danger pour ses utilisateurs comme l’ont laissé entendre certaines interventions médiatiques ? Apporte-t-elle plus de chances au fumeur de réussir son sevrage… et de le maintenir ? Au-delà de sa fiabilité et de son efficacité, ce nouveau produit ne fait-il pas émerger d’autres problèmes ?

Un produit qui fait un "tabac" ! La cigarette électronique ou e-cigarette est un produit dont l’utilisation a progressé de façon spectaculaire sur ces deux dernières années. En France, l’enquête ETINCEL-OFDT menée en novembre 2013 sur un échantillon de 2 052 individus représentatif de la population métropolitaine âgée de 15 à 75 ans révélait que 18 % des personnes interrogées l’avaient utilisé au moins une fois(1) (figure). C’est 2,5 fois plus qu’en mars 2012, où le taux d’expérimentation en France atteignait 7 %.   Expérimentation et usage de la cigarette électronique en France en novembre 2013. Source : enquête ETINCEL-OFDT (novembre 2013)* Qui sont ces expérimentateurs d’e-cigarette ou « vapoteurs » ? 75 % sont des fumeurs (environ la moitié d’entre eux l’ont déjà utilisée), un sur six est un ancien fumeur, mais près d’un sur dix (9 %) n’avait jamais fumé ou avait seulement essayé… Le taux d’expérimentation est inversement proportionnel à l’âge avec 31 % chez les 15-24 ans contre 6 % chez les 65-75 ans. En revanche, le taux d’usagers quotidiens est maximum chez les 35-44 ans, où il est de 5 % contre 3,3 % pour l’ensemble des sujets interrogés. Parmi ces usagers quotidiens, les deux tiers alternent cette consommation avec celle de tabac. En effet, seulement 1,3 % (0,8 %-1,8 %) des sujets interrogés sont des « vapoteurs » exclusifs (dont 8 sur 10 l’utilisent tous les jours) ce qui représentait néanmoins environ 800 000 sujets fin 2013, nombre qui aurait actuellement possiblement doublé d’après les estimations les plus récentes. Neuf vapoteurs sur 10 utilisent des e-cigarettes avec nicotine. L’e-cigarette est vécue essentiellement comme un outil possible de sevrage tabagique, puisqu’elle est pour 51 % des utilisateurs adoptée dans l’optique d’arrêter la consommation de tabac et à terme de nicotine, pour 11,5 % de réduire le nombre de cigarettes et pour 8,2 % de remplacer la cigarette par l’e-cigarette sans idée d’arrêter la consommation de nicotine. Environ 60 % ont acheté leur e-cigarette dans une boutique spécialisée, 21 % chez un buraliste, 9 % sur internet et 5 % dans une pharmacie, bien que la vente de l’e-cigarette y soit interdite… Pratiquement tous ont à présent adopté les modèles rechargeables, certainement plus performants que les e-cigarettes jetables de première génération. ... et fait reculer les ventes de cigarettes ! On assiste actuellement à un recul des ventes de cigarettes qui a été de 6 % en 2013 et s’est encore accentué en début d’année 2014. C’est la première fois qu’une telle baisse est notée depuis 2005. Elle semble en partie liée à cette augmentation de l’utilisation de l’e-cigarette par les fumeurs. On assiste parallèlement également à une baisse d’utilisation des moyens de sevrage classiques (substituts pharmaceutiques et autres médicaments du sevrage…) et de la fréquentation des consultations d’aide au sevrage. L’INPES vient de lancer, dans le cadre du Baromètre santé 2013-2014, une vaste enquête sur l’usage de l’e-cigarette et sur son impact en France métropolitaine. Menée sur un échantillon de 15 000 personnes âgées de 15 à 75 ans, elle devrait livrer des informations sur le nombre de « vapoteurs », leurs motivations, la fréquence et la durée d’utilisation, la teneur en nicotine des e-liquides consommés, les lieux de ventes, etc. Le lien avec l’arrêt ou la diminution du tabac sera également analysé. Les résultats de cette enquête seront disponibles au troisième trimestre 2014. Pourquoi un tel succès ? On peut se demander pourquoi l’e-cigarette, qui se présente en pratique simplement comme un nouveau mode de substitution nicotinique, a un si grand succès. En effet, on fait la queue dans les boutiques spécialisées pour acquérir ce matériel et son consommable, alors que la substitution nicotinique pharmaceutique, pourtant en vente libre sans ordonnance, n’a jamais attiré des foules de fumeurs dans les pharmacies. Les explications possibles sont que : - le produit est identifié comme plus proche de la cigarette par le fumeur. En effet, la vapeur inhalée va frapper le pharynx, donnant cette sensation dite de « throat hit » connue et appréciée du fumeur de cigarette. Par ailleurs, contrairement aux autres produits de substitution le geste et la production de vapeur, rappelant la fumée, en font un produit ressemblant d’autant plus à la cigarette ; - la cinétique d’absorption par inhalation de la nicotine délivrée par l’e-cigarette se rapproche certainement beaucoup plus de celle liée à la cigarette fumée que de celle des substituts pharmaceutiques (patchs et formes buccales) et répond donc plus rapidement au besoin des récepteurs cérébraux à la nicotine ; - ce produit, arrivé sur le marché en dehors de la sphère médicale ou pharmaceutique, n’est pas directement assimilé à un médicament et dispense le fumeur, qui veut souvent « s’en sortir tout seul », de faire appel à un acteur de santé, médecin ou pharmacien. Il se sent plus responsabilisé et autonome dans sa démarche de tentative de sevrage. Cela correspond à ce que disent beaucoup de fumeurs sur le fait qu’ils doivent y arriver « tout seul »… - ce produit d’« utilisation visible » pour l’entourage, contrairement aux autres produits de substitution, conduit à un plus grand prosélytisme en faveur de l’arrêt du tabac entre fumeurs, en particulier lorsque les fumeurs sont témoins de succès de sevrage avec ce produit autour d’eux. Infiniment moins nocive que la cigarette L’e-cigarette n’est pas en elle-même un produit pouvant être considéré comme totalement anodin car les substances inhalées sont potentiellement irritantes. Mais, il faut d’emblée souligner que la consommation de l’e-cigarette est assurément infiniment moins nocive que celle de la cigarette. En effet, elle ne contient pas de tabac et n’engendre pas de combustion, donc elle ne libère ni monoxyde de carbone, ni quantité significative de particules fines solides (pro-inflammatoires) ou de substances cancérogènes, contrairement à la fumée du tabac. Malgré la persistance d’inconnues sur la toxicité à long terme d’une inhalation de propylène glycol, de glycérine et des arômes, on peut considérer que cette démarche constitue une réduction de risque majeure à court et moyen terme. Il s’agit d’un produit qui doit donc être exclusivement réservé aux fumeurs et formellement déconseillé aux non-fumeurs de même qu’aux ex-fumeurs qui seraient tentés de tester ce nouveau produit. En mai 2011, les autorités de santé (Afssaps) avaient recommandé de ne pas utiliser ce produit. Depuis cette date, malgré le rapport réalisé en mai 2013 par un groupe de travail de l’OFT à la demande de la Direction générale de la santé, il n’a pas encore été défini d’attitude officielle claire de la part des autorités de santé sur la façon de gérer ce produit. Il reste en l’état, ni un produit du tabac, ni un médicament, mais un simple produit de consommation courante, sans avis complémentaire sur son positionnement vis-à-vis du sevrage tabagique. Mais une manipulation qui doit être prudente et sécurisée La majorité des e-cigarettes contiennent de la nicotine au sein des e-liquides. Des précautions particulières sont à prendre pour manipuler ce produit qui indépendamment de son pouvoir addictif est un produit toxique. La dose létale de nicotine est réputée être 60 mg. Or, un flacon de 10 ml avec une concentration de 20 mg/ml de nicotine contient 200 mg de nicotine. Bien que la dose létale soit probablement plus élevée, la prudence s’impose. Toujours lire les notices des fabricants et des revendeurs. Celles-ci doivent informer des précautions à prendre. La nicotine doit être manipulée avec extrême prudence, au calme, assis, sur un plan lavable. En cas de débordement même de quelques gouttes, il faut nettoyer la zone – avec des gants de protection et un papier absorbant – et mettre l’ensemble aux déchets ordinaires. En cas de contact cutané, rincer abondamment à l’eau courante. En cas de projection dans les yeux, rincer abondamment. En cas d’ingestion, se rincer la bouche, puis se gargariser et cracher. En cas d’ingestion plus importante, téléphoner au centre antipoison en ayant à disposition le flacon pour répondre aux questions posées par l’interlocuteur. Par ailleurs, les e-liquides doivent être stockés dans un lieu fermé afin d’éviter le renversement ou l’intoxication d’un enfant. Attention, les flacons d’e-liquide ressemblant à certains flacons de collyre, ne pas les ranger dans une armoire à pharmacie. Utilisation chez les patients cardiaques ? Concernant les patients cardiaques, en particulier coronariens, nous ne disposons pas de données définitives permettant d’affirmer la parfaite tolérance cardiovasculaire de l’e-cigarette. Certes, une étude, présentée dans un congrès (Farsalinos K et al. ESC, Amsterdam, 2013) mais non encore publiée, explorant les résistances vasculaires coronaires et la réserve de flux coronaire, a montré que contrairement à la cigarette, l’e-cigarette n’a pas effet sur la circulation coronaire, mais cette étude concernait des sujets sains, non coronariens. Une autre étude du même auteur a également montré l’absence d’impact de l’utilisation de l’e-cigarette sur la fonction ventriculaire gauche étudiée par échocardiographie (Farsalinos K et al. ESC, Munich, 2012). Cependant, nous ne connaissons pas de façon précise la pharmacocinétique de la nicotine circulante avec ce mode de délivrance et l’absorption alvéolaire fait qu’elle est probablement assez proche de celle de la cigarette. Il est donc possible que, chez certains utilisateurs « vapotant de façon très active », les effets sympathomimétiques de la nicotine puissent être proches de ceux obtenus avec la fumée de cigarette, alors qu’il a été démontré que l’utilisation des substituts nicotiniques pharmaceutiques (patchs, gommes, pastilles…) n’a aucun effet sur la fréquence cardiaque et la pression artérielle. La vigilance est donc de rigueur et, en l’absence de données plus précises, il est dans l’immédiat certainement préférable de déconseiller au moins son utilisation chez les patients venant de présenter un accident coronaire aigu ou ayant une insuffisance cardiaque non compensée. Il faut chez ces patients utiliser la substitution nicotinique pharmaceutique ou les autres médicaments d’aide au sevrage. Un moyen de plus dans la prise en charge du sevrage tabagique ? Permettant de délivrer de la nicotine, l’e-cigarette est choisie majoritairement par les fumeurs pour diminuer ou arrêter leur consommation de tabac et donc comme produit susceptible de remplacer la substitution nicotinique pharmaceutique. Comme pour les autres moyens de sevrage, il existe une disproportion importante entre le nombre d’« expérimentateurs » et le nombre de ceux qui « adoptent le produit » de façon suffisamment prolongée pour parler de véritable tentative de sevrage. Nous ne disposons actuellement que d’une seule étude randomisée comparant l’efficacité respective de l’e-cigarette avec la substitution pharmaceutique (Bullen C et al. Lancet 2013 ; 382 : 1 629-37). L’e-cigarette fait aussi bien mais pas mieux que la substitution par patchs de nicotine. À noter cependant que cette étude n’a pas utilisé des e-cigarettes de dernière génération qui apparaissent en pratique plus performantes dans la délivrance d’une dose suffisante de nicotine. Ceci étant, si l’efficacité venait à être confirmée comme identique dans d’autres études, le nombre d’adeptes de l’e-cigarette l’utilisant dans cette optique d’un sevrage étant beaucoup plus grand que celui des utilisateurs de produits pharmaceutiques, il est possible d’espérer un effet global de santé publique nettement plus important. On ne peut cependant dans l’immédiat prétendre que l’e-cigarette est la solution miracle qui va révolutionner le sevrage tabagique et il est impératif de poursuivre les études évaluant objectivement et sur la durée son efficacité. Émergence de nouvelles questions de santé publique... L’e-cigarette ne risque-t-elle pas de devenir un mode d’entrée possible des adolescents ou même d’adultes vers le tabac, du fait de l’aspect ludique potentiel du produit qui prend des formes de plus en plus originales et attractives ? Il est difficile de répondre formellement à cette question mais ce risque implique de fait que la vente de l’e-cigarette soit interdite aux mineurs, ce qui est le cas en France. Pour les mêmes raisons, la publicité pour l’e-cigarette doit être interdite au même titre que celle réglementant la publicité directe et indirecte en faveur du tabac et des produits du tabac. Le ministère a saisi le Conseil d’état pour évaluer les possibilités d’interdire de « vapoter » dans les lieux où il est interdit de fumer. En l’absence de toxicité démontrée d’une exposition passive à la vapeur de l’e-cigarette, cette interdiction aurait surtout l’avantage d’éviter de banaliser de nouveau le « geste de fumer », qui a disparu des lieux publics depuis maintenant plus de 6 ans et qui pourrait constituer une incitation à reprendre la cigarette pour d’anciens fumeurs ou même simplement à adopter l’e-cigarette pour des sujets n’ayant jamais fumé. Le flou qui persiste à ce sujet est regrettable et seules des dispositions réglementaires locales sont en vigueur. Enfin, on sait actuellement que pratiquement toutes les industries multinationales du tabac ont, soit racheté des entreprises d’e-cigarettes, soit lancé leurs propres produits. Que l’objectif soit de freiner le marché de l’e-cigarette ou de créer un nouveau marché juteux de dépendance nicotinique, cette évolution est préoccupante et doit faire l’objet d’une vigilance particulière.

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