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Thérapeutique

Publié le 23 fév 2014Lecture 8 min

Place de l’hypothermie dans la prise en charge de l’arrêt cardiaque

C. DELHAYE, Clinique de cardiologie et centre hémodynamique Hôpital cardiologique, CHRU, Lille

L’hypothermie légère, définie par une température corporelle entre 32 et 36°C, a été étudiée dans une multitude de modèles de lésions cérébrales aiguës en raison de son effet protecteur potentiel sur le cerveau.
Dans le cadre de l’arrêt cardiaque récupéré, c’est en 2002 que les premières études prospectives randomisées ont validé l’efficacité clinique de cette thérapeutique. Après un bref rappel des mécanismes neuroprotecteurs liés au froid, nous évoquerons les preuves cliniques, les techniques de refroidissement et les potentiels effets secondaires associés à la mise en œuvre de l’hypothermie thérapeutique chez les patients survivant à un arrêt cardiaque(1).

Mécanisme de la neuroprotection   La protection neuronale induite par l’hypothermie était initialement attribuée à la baisse du métabolisme cérébral. Depuis, de nombreux autres mécanismes ont été décrits ; ils consistent essentiellement en la modulation, voire la suppression de la cascade d’événements destructeurs résultant de l’ischémie-reperfusion. Ceux-ci incluent une réduction de l’accumulation des neurotransmetteurs exito-toxiques, ainsi que de l’acidose et de l’afflux intracellulaire de calcium, une diminution de la production de radicaux libres oxygénés, une atténuation de la réponse immune et inflammatoire locale, enfin une surexpression des « protéines de la famille du choc froid » participant à l’inhibition des phénomènes apoptotiques. L’hypothermie réduirait également le risque d’œdème cérébral et épileptique.   Preuves cliniques de l’efficacité de l’hypothermie dans l’arrêt cardiaque   Essais randomisés Après quelques études préliminaires encourageantes dans l’arrêt cardiaque récupéré, la preuve de son efficacité a été apportée en 2002 par la publication de 2 études prospectives randomisées confirmant le bénéfice sur le pronostic vital et neurologique de cette thérapeutique. L’étude européenne du groupe HACA(2), la plus large, a inclus 273 patients ressuscités d’un arrêt cardiaque avec un rythme initial choquable (FV ou TV) et randomisés entre normothermie et hypothermie (32 et 34°C) pendant 24 heures grâce à des dispositifs de refroidissement externe, suivi d’un réchauffement lent sur 12 heures. La survie sans séquelle neurologique majeure était de 55% à 6 mois dans le groupe hypothermie contre 39% dans le groupe normothermie (p = 0,009). L’hypothermie était également bénéfique sur la survie globale à 6 mois (59% versus 45% ; p = 0,02). Le taux de complications était similaire dans les 2 groupes. La seconde étude, conduite en Australie(3), a randomisé 77 patients entre normothermie et hypothermie (33°C pendant 12 heures) initiée plus tôt lors du transport dans l’ambulance. Comme l’étude européenne, l’hypothermie était associée à une survie sans séquelle neurologique majeure à la sortie plus élevée que dans le groupe contrôle (49% versus 26% ; p = 0,046). Après ajustement sur l’âge et le temps de récupération d’une activité circulatoire, l’hypothermie multipliait par plus de 5 la probabilité d’obtention d’un pronostic favorable. Aucune différence majeure en termes de complication n’était retrouvée entre les 2 groupes. Une métaanalyse de ces études conclut qu’il faut refroidir 6 patients victimes d’un arrêt cardiaque récupéré pour permettre la survie d’un patient sans séquelle neurologique majeure(4).   Recommandations internationales Basé sur ces résultats, l’ILCOR (International Liaison Committee on Resuscitation)(5) recommande l’utilisation de l’hypothermie (32 et 34°C pendant 12 à 24 heures) chez tous les patients comateux après un arrêt cardiaque récupéré, quel que soit le rythme initial. Il est reconnu un niveau de preuve beaucoup plus faible pour l’utilisation de l’hypothermie après un arrêt cardiaque non choquable.   Études observationnelles Après 2002, de nombreuses études observationnelles(1) ont confirmé la faisabilité d’application de cette thérapeutique dans des populations diverses : Hypothermie dans l’arrêt cardiaque non choquable Aucune étude n’a à ce jour démontré le bénéfice de l’hypothermie sur la survie ou le pronostic neurologique. Le pronostic catastrophique associé à la présence d’une asystolie, quelles que soient les mesures thérapeutiques entreprises, en est l’une des raisons. Hypothermie dans l’état de choc post-ressuscitation Bien que l’état de choc soit une complication fréquente de l’arrêt cardiaque récupéré, ces patients étaient exclus des études randomisées, et l’analyse des résultats des études observationnelles est biaisée par la variation des définitions du « choc » et le manque de report du devenir de ces patients. Dans 2 études rétrospectives dédiées, l’hypothermie n’avait pas d’impact défavorable sur le pronostic de ces patients. Hypothermie et coronarographie (± angioplastie) urgente Plusieurs études observationnelles ont montré que combiner hypothermie et coronarographie ± angioplastie urgente est faisable. Dans le cadre de l’infarctus du myocarde avec sus-décalage du segment ST, l’implémentation de l’hypothermie en sus de l’angioplastie primaire n’allonge pas le délai « début des symptômes-ballon ». À l’inverse, l’angioplastie ne doit pas retarder le refroidissement initié au mieux en extrahospitalier et qui doit être poursuivi pendant la procédure. Mise en œuvre de l’hypothermie thérapeutique L’implémentation de l’hypothermie se divise en 3 étapes : 1. La phase d’induction. 2. La phase de maintenance. 3. Le réchauffement (tableau 1). Tableau 1. Techniques de refroidissement   Perfusion de liquide froid C’est une technique de refroidissement efficace, sûre et rapide à mettre en œuvre pour initier l’hypothermie. Elle est de plus facilement utilisable dans un environnement extrahospitalier.   Plusieurs protocoles ont été proposés : perfusion de 30 ml/kg d’une solution de Ringer lactate froid (4°C) IV sur 30 min, ou perfusion de 500 à 2 000 ml de sérum salé froid (4°C) dès que possible après la ressuscitation. Cette technique n’est pas suffisante pour être utilisée seule pour la phase de maintenance et nécessite l’utilisation additionnelle des dispositifs de refroidissement externe ou endovasculaire.   Techniques de refroidissement externe Elles sont simples, bon marché, faciles à mettre en œuvre et consistent en l’application corporelle (plis de l’aine, torse, aisselles, nuque, etc.) de packs de glace, et de serviettes trempées dans l’eau glacée et ventilées. Cette méthode peut être envisagée pour l’induction et la phase de maintenance, mais elle peut être chronophage pour l’équipe soignante, entraîner de grandes variations de température et implique donc une extrême vigilance pour éviter le sur-refroidissement. Enfin, elle ne permet pas de contrôler la vitesse de réchauffement.   Différents dispositifs plus onéreux avec possibilité d’asservissement à la température du patient sont aujourd’hui commercialisés : matelas, couvertures réfrigérantes, « vêtements » réfrigérants, etc.   Techniques de refroidissement endovasculaire Elles consistent en un cathéter de refroidissement endovasculaire habituellement inséré par voie fémorale percutanée jusque dans la veine cave inférieure et connecté à un système d’asservissement du niveau de refroidissement aux variations de température du patient. Ce dispositif diminue directement la température centrale sans être gêné par la vasoconstriction cutanée réflexe thermorégulatrice. Ainsi, il permet une hypothermie rapide et précise, stable pendant la phase de maintenance et un contrôle plus efficace de la phase de réchauffement. Les inconvénients principaux se résument aux risques liés à la canulation veineuse (hématome, thrombose, infection) et au coût du dispositif.   Complications de l’hypothermie et prise en charge   L’hypothermie est associée à de nombreuses modifications physiologiques et à de potentielles complications synthétisées dans le tableau 2.   Tableau 2. Frissons Les frissons sont une réponse physiologique naturelle à l’hypothermie et constituent, après la vasoconstriction périphérique, le dernier recours de l’organisme pour lutter contre le froid quand la température centrale chute sous les 35,5°C. Ils entravent ainsi les phases d’induction et de maintenance en générant de la chaleur. Pour lutter contre cette réponse, la stratégie médicamenteuse la plus répandue est une combinaison de benzodiazépines pour la sédation, d’analgésiques opioïdes, et de curares pour la relaxation musculaire.   Manifestations cardiovasculaires de l’hypothermie Elles sont multiples et complexes. Après la phase d’induction, l’hypothermie provoque une bradycardie pouvant en retour entraîner une réduction du débit cardiaque, qui n’est pas suffisante pour altérer significativement le statut hémodynamique.   À ce stade, la vasoconstriction artérielle et artériolaire périphérique peut augmenter les résistances vasculaires systémiques et mener à une légère augmentation de la pression artérielle. Néanmoins, les patients récupérés d’un arrêt cardiaque et refroidis présentent souvent une hypotension artérielle, conséquence principale de 3 phénomènes :   1. Le syndrome post-arrêt cardiaque se caractérisant par une dysfonction myocardique et une réponse inflammatoire systémique, conséquence de l’ischémie-reperfusion. 2. La cause sous-jacente de l’arrêt cardiaque (infarctus du myocarde, etc.).   3. L’hypovolémie induite par la « diurèse au froid », conséquence d’une augmentation du retour veineux via la vasoconstriction périphérique, d’un déséquilibre des hormones diurétiques et d’une dysfonction tubulaire.     Bien que l’hypothermie n’ait pas été associée à la survenue de troubles du rythme dans les différentes études, le sur-refroidissement et les troubles électrolytiques (hypokaliémie, hypomagnésémie, etc.) peuvent être responsables d’arythmie et doivent être prévenus et corrigés.   Infection Bien que l’hypothermie puisse induire une altération de l’immunité cellulaire et humorale, le message issu des essais cliniques concernant le risque infectieux n’est pas uniforme. Certaines études retrouvent une augmentation du risque, alors que d’autres la réfutent.   Saignement L’hypothermie peut induire une thrombopénie, et altérer la fonction plaquettaire et la cascade de la coagulation. Cependant, la traduction clinique de ces manifestations hématologiques en termes de risque hémorragique n’a pas été observée dans les différents essais cliniques, et ce même lorsqu’une intervention coronaire percutanée était associée.   Modifications de la métabolisation des drogues L’hypothermie ralentit l’action de nombreuses enzymes hépatiques telles que le cytochrome P450 et peut provoquer une altération de la clairance de nombreux médicaments, entraînant un risque de surdosage accru. Les drogues métabolisées par le foie nécessitent donc une adaptation des doses.   En conclusion   L’hypothermie thérapeutique doit aujourd’hui être considérée comme le traitement de référence des patients comateux survivant à un arrêt cardiaque, quel que soit le rythme initial.   Certes, de nombreuses questions subsistent, notamment concernant la durée optimale, la profondeur idéale du refroidissement, la vitesse de réchauffement, la meilleure technique de refroidissement, et bien d’autres. Toutefois, elle représente aujourd’hui l’un des seuls traitements améliorant le pronostic vital et neurologique de cette population.   Ce qu’il faut retenir   L’hypothermie thérapeutique améliore le pronostic vital et neurologique des patients comateux récupérés d’un arrêt cardiaque. L’emploi systématique d’une hypothermie légère (32 à 34°C pendant 12 à 24 heures) est recommandé chez tout patient comateux au décours d’un arrêt cardiaque récupéré, quel que soit le rythme cardiaque initial.  À un tel niveau d’hypothermie (33°C), les effets secondaires potentiels (hémorragiques et infectieux) ne sont pas augmentés. Elle peut être envisagée en cas d’état de choc post-ressuscitation. Elle doit être combinée à l’angioplastie primaire en cas de STEMI.

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